Action pour la protection des droits de l’Homme (APDH), l’ONG locale qui a suscité cette décision milite pour une nouvelle CEI légale, confiée exclusivement à la société civile et dépouillée de tous représentants de l’administration et des partis politiques. Cette approche a été mal perçue par les politiques qui veulent jalousement préserver leurs années de présence au sein de la CEI. Seulement, la donne pourrait changer au terme de cette réforme. Le 25 mars dernier, lors de l’émission « Appel sur l’actualité » de la radio française internationale (RFI) enregistrée à Abidjan, il y a eu des surprises.
Lesinvités à ce débat, Alain Lobognon, député de Fresco et proche deGuillaume Soro, et Jean Louis Billon, membre influent du PDCI ont exprimé leur adhésion à l’idée d’une CEI composée de personnes de la société civile. Ils ont fait cette annonce pour répondre à la demande d’un auditeur.« Je suis d’accord avec cet auditeur pour qu’il n’y ait plus de partis politiques au sein de la CEI », a indiqué Alain Lobognon au micro de RFI. A sa suite, Jean Louis Billon dans la même veine a ajouté : « Je suis personnellement d’avis qu’il n’y ait pas de partis politiques au sein de la CEI. Cela devrait nous conduire à une CEI véritablement indépendante et autonome, c’est-à-dire qui a son budget et qui est impartiale. A partir de là, oui, bien sûr, il faut qu’on s’accorde sur le mode de désignation des membres. On peut trouver des personnes comme les magistrats au tribunal, aux juges qui sont censés être impartiaux ». Cette déclaration de Jean Louis Billon en phase avec l’approche de l’APDH donne une nouvelle dynamique à la réforme de la CEI.
C’est un premier pas de l’opposition vers un retrait des partis politiques de cette Commission. Car si l’ancien ministre du commerce a tenu à préciser que c’est son avis personnel, son titre de Secrétaire en charge de l’information et de la communication du PDCI donne à ses propos, une grande valeur. C’est-à-dire, la valeur de la position du PDCI sur la réforme de la CEI. L’adhésion d’Alain Lobognon à cette CEI sans politiciens vient donner du grain à moudre à ce postulat.
C’est une bonne petite nouvelle qui peut faire rêver ceux qui espèrent voir une CEI confiée exclusivement à des acteurs de la société civile. Avant de se réjouir, il faut attendre que le gouvernement révèle les propositions de toutes les partis prenants au processus de réforme de la Commission électorale, avec l’espoir que les autres partis politiques se joindront à cette approche. Et surtout, le parti au pouvoir, le RHDP. Son porte-parole adjoint, le ministre de la promotion de la jeunesse et de l’emploi des jeunes, Mamadou Touré, invité de l’émission de RFI, a délicatement esquivé la question et s’est gardé de ne pas se prononcer sur la position du RHDP à l’idée du retrait des partis politiques de la CEI. Le choix du parti au pouvoir peut être décisif, car son adhérence à cette approche conforterait l’option du retrait des membres de l’administration de la Commission électorale. Vu que les membres de l’administration sont essentiellement issus du parti au pouvoir.
L’espoir est encore mince quand il s’agit d’arriver à une CEI comme celle qui a organisé la présidentielle de l’an 2000, composée exclusivement d’acteurs de la société civile. Cette CEI avait eu le mérite d’affronter le Général Guei Robert et ses militaires qui voulaient s’arroger cette élection. Son président, acteur de la société civile, Honoré Guié est resté droit dans ses bottes malgré les pressions militaires et à déclarer Laurent Gbagbo, vainqueur de ce scrutin. Le temps coure et le gouvernement semble ne pas presser le pas dans la conduite de réforme de la CEI. Et pourtant, la CADHP exige qu’aucune modification de la CEI n’intervienne six mois avant la présidentielle d’octobre 2020. Il reste donc une année aux autorités ivoiriennes pour achever ce processus encore embryonnaire. Une année pour un chantier rocambolesque, qui comprend, la révision du code électorale, de la composition des membres de la CEI, de son financement etc.
Le 1er avril dernier, lors de la rentrée solennelle de l’Assemblée nationale, le Chef de l’Etat, Alassane Ouattara a fait savoir qu’«à l’issue de ce dialogue politique entamé début janvier 2019, je déposerai devant votre Institution un projet de loi relatif à la Commission électorale indépendante (CEI), prenant en compte les propositions qui renforcent la confiance dans cette importante institution ». Cette confiance qui tient à cœur le Président de la république est fortement entachée en ce moment. Depuis le début de la réforme de la CEI, des voix discordantes se font entendre sur la manière dont le gouvernement mène ce processus. Des partis politiques ont fait savoir qu’ils n’ont pas été associés à cette initiative. Des mauvais sons de cloche qui viennent aggraver les inquiétudes des ivoiriens sur l’issue de la présidentielle de 2020. Des craintes nourries par les déclarations à caractère belliqueux de certains acteurs politiques et par les violences qui ont émaillées les dernières élections municipales et législatives. Assez pour réveiller dans les esprits des ivoiriens, le sombre souvenir de la crise postélectorale de 2010.
Si le ministre Mamadou Touré a tenu à faire savoir lors du débat d’Appel sur l’actualité, que « 2020, ce n’est pas 2010 où il y avait deux armées, des milices… », une manière de faire savoir qu’il n’y a pas de forces armées opposées en présence actuellement à même de s’affronter ; les ivoiriens ne cessent d’avoir peur. Un participant à l’émission est aller jusqu’à dire « je suis traumatisé quand j’entends nos politiciens, je ne sais pas si ma voix va compter, si je vote oui, est ce que ça ne sera pas non ! ». Un traumatisme et une rupture de la confiance d’une partie des citoyens à l’égard des élections qui continue de survivre dans l’esprit de certains ivoiriens malgré les nombreuses tentatives du Chef de l’Etat pour rassurer les uns et les autres, « qu’il n’y aura rien en 2020 ». Et si ces inquiétudes persistent, c’est parce qu’en 2010, l’ancien président Laurent Gbagbo avait les mêmes mots : « En 2010, Gbagbo a dit de ne pas avoir peur », a rappelé un participant à l’émission.
En définitive, il semble que les déclarations du Chef de l’Etat ne suffisent pas à apaiser les angoisses des ivoiriens. « C’est bien de nous dire, on veut des élections apaisées, que le Président le dise, que le gouvernement le dise, mais il ne faut pas que ça s’arrête à des déclarations de bonnes intentions, il faut poser des actes forts ». Cet appel d’un auditeur de RFI touche du doigt, le fond du problème. « Poser des actes forts », comme celle d’un gouvernement et d’un parti au pouvoir qui décide de se retirer de la CEI, invitant par une telle attitude, les autres partis politiques à lui emboiter le pas pour aboutir à cette Commission électorale véritablement indépendante et impartiale car dépouillée de ces représentants de partis politiques et de membres de l’administration. Des présences qui conforte la posture de « juge et parti » qui prospère au sein de cette institution. Un parti politique ne peut être candidat à une élection et faire parti de la Commission qui arbitre ces élections. Il va de soit qu’avec une telle commission électorale, la Côte d’Ivoire se soit retrouvée à vivre autant de crise électorale.
Kouakou Kouamé