Les voyants étaient déjà au rouge depuis que Henri Konan Bédié a affiché clairement son divorce avec Alassane Ouattara, son allié d’hier au sein de la coalition du RHDP. Guillaume Soro lui emboite ainsi le pas en quittant le perchoir. « Je ne suis pas homme à m’accrocher, comme un saprophyte, à un poste. On ne peut risquer la paix parce que l’on veut s’accrocher à un poste ». Pourquoi la paix en Côte d’Ivoire serait -t-elle menacée pour un poste ? Si Guillaume Soro y fait référence pour justifier selon lui, le sacrifice qu’il a fait en démissionnant, c’est parce qu’effectivement, sa démission était source de grandes frictions au sein de la classe politique au pouvoir, à même, peut-être, de faire sombrer la stabilité du pays.
Tout commence par les mots à la limite menaçant de ce haut cadre du RHDP, Adama Bictogo : « le 27 janvier, si tu n’es RHDP unifié, tu libères le tabouret ». L’ancien chef rebelle fera la sourde oreille à ce message qui lui était portant clairement adressé. Il marquera le congrès du nouveau parti unifié par son absence. Alors Alassane Ouattara, quelques jours plus tard, contre toute attente, se permet d’annoncer la démission de Guillaume Soro en février. Des pressions à peine voilées qui finiront par aboutir. Que serait-il arrivé s’il s’était entêté à rester à la tête du parlement ? L’on n’aura jamais la réponse à cette question, même si, il apparait clairement que la pression qui a eu raison de lui, se serait accentuée.
D’ailleurs, l’ancien Chef de la rébellion de 2002 n’est pas à l’abri de la hache du pouvoir, qui apprécie mal la rupture de celui qui a été l’ancien dauphin présidentiel. Même si Alassane Ouattara veut laisser croire le contraire, en déclarant sur les antennes de Rfi,
« c’est un jeune homme [Soro Guillaume NDLR] avec qui je maintiendrai les rapports que j’ai toujours eus. Je pense qu’au niveau de la presse, vous exagérez un peu ».
Exagération des médias, Possible ! Néanmoins, les faits rapportés par ces médias parlent autrement.
A commencer par l’arrestation et la condamnation d’un proche de Guillaume Soro, le député Alain Lobognon, à un an de prison pour divulgation de fausses informations, malgré l’impunité dont il jouit en tant que parlementaire. L’affaire est perçue comme une traque des opposants politiques. C’est d’ailleurs les mêmes pressions judiciaires dont souffre le maire du PDCI élu dans la commune du Plateau, Jacques Ehouo pour détournements de fonds publics. Son prédécesseur à ce poste, Akossi Bendjo du même parti est contraint à l’exil pour les mêmes raisons. Et comme par hasard, La Lettre du continent dans sa publication du 12 février, s’interroge sur d’éventuels « mesures de rétorsion » que devrait subir bientôt Guillaume Soro. Le journal évoque un redressement fiscal à son encontre et des enquêtes qui pourraient être diligentées sur l’origine des fonds qui ont servi à construire sa villa de Marcory. Face à ces éventuels pressions, Guillaume Soro pourrait être amené à se défendre. Une attitude qui pourrait s’avérer à haut risque, quand on sait que le pouvoir le soupçonnait d’avoir été le maitre à penser des mutineries de janvier 2017 et qu’un vieux rapport de l’ONU a laissé croire que l’ancien chef de guerre détient 300 tonnes d’armes.
C’est encore le même scénario qui se répète. A peine un individu affiche sa rupture avec le pouvoir en place qu’il fait l’objet de poursuites judiciaires systématiquement et avec une célérité qui ferait pâlir les juridictions les plus performantes. Une attitude qui n’a pas échappé au regard de l’ONG, Amnesty international qui dans un rapport datant du 11 février, pointe du doigt, « des arrestations arbitraires, de la répression contre la dissidence et des actes de torture en amont de l’’élection présidentielle » en Côte d’Ivoire. Le cas du député Alain Lobognon cité dans le rapport ainsi que l’usage d’une force excessive contre des manifestants, l’interdiction de rassemblements pacifiques, la mort de 152 personnes en détention, la mise en sac des bureaux des organisations de défense des droits de l’Homme, et l’impunité des violations des droits humains. Par conséquent, l’organisation a appelé à travers ce rapport accablant, « les autorités ivoiriennes à mettre fin aux arrestations arbitraires et aux actes d’harcèlement ciblant des citoyens en raison de leurs opinions jugées critiques et libérer immédiatement et sans conditions ceux qui ont été placés en détention ».
Pas sûr qu’Alassane Ouattara réagisse favorablement à cet appel d’Amnesty international, au regard de sa récente réaction à la limite dédaigneux sur le rapport accablant de l’Union européenne sur sa gouvernance paru en 2018 :
« Mais ce rapport par un groupe de gens, d’« experts» ne peut pas faire le meilleur rapport que le Fonds monétaire, la Banque mondiale, le gouvernement américain avec le MCC [Millenium challenge corporation], la Fondation Mo Ibrahim et ainsi de suite. C’était tout simplement du n’importe quoi. Et je l’ai dit à l’Union européenne. »
Comme le régime de Laurent Gbagbo, il y a une dizaine d’années, celui d’Alassane Ouattara commence à mépriser les organisations internationales qui osent faire des rapports compromettant sur sa gouvernance. Le brasier ivoirien renoue avec les symptômes d’hier. Et l’élection de 2020 sent la poudre à plein nez, surtout avec l’éventualité d’une candidature de Ouattara pour un troisième mandat.
Les inquiétudes fusent de partout. La dernière en date vient du Sous-secrétaire d’Etat américain, David hale qui a déclaré sur la radio de la Paix ses craintes suite aux dernières élections municipales en Côte d’Ivoire : « nous sommes inquiets parce que nous avons constaté des intimidations de votants, des irrégularités et des cas de violence et cela est particulièrement néfaste pour la côte d’Ivoire qui a connu des violences liées aux élections ». Ces avertissements sont encore plus déterminants quand on sait qu’à l’orée de 2020, une réforme de la CEI a été promise et entamée par le pouvoir. Seulement, à peine les consultations entamées que certains partis de l’opposition se déclarent exclus de ce processus. Des plaintes qui n’augurent pas des jours calmes dans un pays récemment choqué par des propos d’une bassesse morale d’un député du RHDP unifié à l’endroit des femmes du PDCI. Et ce n’est assurément pas les mots d’apaisement et d’appel à la responsabilité verbale de la ministre de la Solidarité, de la Cohésion Sociale et de la Lutte contre la pauvreté, Pr Mariatou Koné qui risquent de changer la donne. Le brasier est déjà en incandescence.
Pour le journaliste écrivain André Silvère Konan, deux fois vainqueur du prix spécial Norbert Zongo du journalisme d’investigation, Alassane Ouattara est la seule personne qui peut arrêter ce brasier. « La situation inquiétante du pays dépend moins des opposants que du pouvoir ». Par conséquent, il estime que « le climat social et politique sera ce que le Président Ouattara aura décidé. S’il décide de rendre le jeu démocratique davantage transparent, il couperait les herbes sous le pied de n’importe lequel de ses opposants, y compris un ancien chef de guerre comme Guillaume Soro, qui serait tenté par quelque actions subversive Par contre, s’il cherche à boucler le jeu électoral et démocratique comme cela semble se dessiner avec le refus de la réforme profonde de la CEI, il donnerait des arguments à toute action subversive, y compris de la part de son propre camp ».
Kouakou Kouame