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Au cœur du débat politique : Le riz crie sa colère au RHDP et au chômeur Soro

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Mon image, dans des sacs que portaient des femmes a fait le tour des réseaux sociaux. Le lendemain, j’ai été peiné par la salve de rires qu’a suscité les propos du président du PDCI, Henri Konan Bédié lorsqu’il me cite parmi les bagages que les militants du parti unifié ont emporté au congrès du 26 janvier. Et comme si tout cela ne suffisait pas, c’est l’ancien président de l’Assemblée nationale qui vient en rajouter une couche. Il va se servir de moi pour exprimer avec une grosse ironie qu’après sa démission, il est au chômage et qu’il avait besoin de quelques sacs de riz pour survivre. Depuis lors, je fais l’objet de nombreuses photos de volontaires venus faire des dons de riz à Guillaume Soro.

De mes souvenirs, je n’ai jamais autant été au cœur de l’actualité nationale. Seulement, pendant que je suis balloté ça et là par ces politiciens, je me pose la question de savoir si ceux qui me charcutent ainsi me connaissent vraiment. Savent-ils ce qui se passe dans ma vie de denrée alimentaire ? Comment va ceux qui me cultivent ? D’où je viens, comment j’arrive dans les assiettes des ivoiriens et surtout savent-ils que des risques imminents planent sur ma disponibilité ? Ai-je besoin de leur rappeler également combien je suis important, car à la moindre pénurie, c’est l’émeute !

Je doute fort que ces politiciens le savent, et s’ils le savent, je ne compte pas rater ce buzz dont je fais l’objet depuis quelques mois pour le leur rappeler. Je suis le riz, la denrée alimentaire la plus consommée en Côte d’Ivoire.  Chaque année, 3 millions de tonnes de riz sont consommés par les ivoiriens. A peine la moitié de cette consommation est produit localement. Le reste est importé notamment des pays asiatiques. Si cette situation ne vous a pas étonné, c’est que vous ne me connaissez vraiment pas. Car depuis les années 70, le père de la nation, Félix Houphouët Boigny s’était donné pour objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire en riz. Plus d’un demi-siècle plus tard, la Côte d’Ivoire continue d’importer la moitié du riz nécessaire pour nourrir sa population. Cela veut dire que le premier président n’a pas réussi à relever ce défi. Qu’également, ses successeurs ont échoué. A savoir Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. L’actuel président comme les autres, a essayé et essaie encore.

Aujourd’hui, son programme d’autosuffisance en riz essui un cuisant retard. Son gouvernement avec la fougue des ambitions qu’on lui connait avait fixé l’atteinte de l’autosuffisance en 2016. Cette même année, la Côte d’Ivoire importera 1,2 millions de tonnes de riz pour compenser une production locale insuffisante pour la consommation de 1,8 millions de tonnes de riz. Pourtant, deux ans auparavant, le pays avait touché son plus bas taux d’importations de riz, 900.000 tonnes. Un exploit sur lequel le gouvernement s’est surement endormi car depuis 2014, c’est la marche arrière. Les importations de riz ne cessent de grimper, obligeant les autorités à réajuster en 2018, leur ambition d’autosuffisance. Cette fois, il table sur l’année de l’émergence, 2020. Surtout grâce à un prêt de 300 millions de dollars contracté auprès de la banque AFREXIMBANK pour porter la production locale à près de 2 millions de tonnes. Pour combler le tout, une nouvelle agence de développement de la culture de riz dénommée ADERIZ a été mise en place en remplacement de l’Office national de développement de riziculture.

Comme s’il fallait de nouvelles agences pour que je suffise aux ivoiriens ou encore des dettes, les énièmes investissements engloutis pour dit-on, favoriser ma culture. Je suis en colère, car je suis sur l’une des terres les plus propices à la culture du riz. Mais face à ce que je qualifierais sans gants de mépris des pouvoirs publics, plus de 80% du riz produit en Côte d’Ivoire dépend de la pluie, alors qu’aujourd’hui, les techniques les plus précaires de culture du riz emploient l’irrigation. Les cultivateurs sont abandonnés à leur sort. Sans intrants, engrais et subventions, ils se sont tous détournés du riz pour aller vers les cultures de rentes comme le cacao, le coton et l’hévéa.

L’industrialisation, n’en parlons pas. L’Etat a fait construire une trentaine d’usines de transformation de riz qui devraient ouvrir en juin 2018. A ce jour, seulement deux de ces usines qui devaient être cédées à des privés fonctionnent. Elles ont été concédées à Lanzeni Coulibaly, le patron de l’entreprise de production de riz, SOCOMCI, un membre de la famille du premier ministre, Gon Coulibaly. Ne me demandez surtout pas ce qu’est devenu les autres usines dont la date d’ouverture a expiré. Des indiscrétions nous ont rapporté que ces installations seraient en état avancé de dégradation.  

J’ai mal et mon histoire me peine. La colère me ronge. Et je crains que ni Guillaume Soro, ni Henri Konan Bédié et encore moins Alassane Ouattara, ont une idée de l’ampleur des risques que ce pays court à toujours importer du riz en si grande quantité. Parce que nous importons près de la moitié du riz que nous consommons. Si ce riz venait à manquer, ce serait assurément la famine et l’émeute, car c’est la denrée alimentaire de premier ordre des ménages moyens et vulnérables. Et pourtant, ce manque guette. Il avait déjà été pressenti en 2008. Causé par une production insuffisante de riz dans les pays asiatiques qui nous vendent du riz, il a suscité à cette époque des émeutes dans le monde entier.

Dix ans après ce dangereux virage, la Côte d’Ivoire est encore loin, très loin de l’autosuffisance alimentaire et continue de se confondre dans des politiques de réajustement. Alors que ces importations nous coutent l’équivalent de 20% du budget national. C’était le cas en 2015. L’année d’avant, la Côte d’Ivoire avait importé pour 250 milliards de FCFA de riz, soit le quart de ses achats de produits alimentaires de base. D’importantes sommes qui servent à remplir les poches des planteurs et employés des usines des pays qui nous vendent du riz, alors que nous souffrons du chômage et de la vie chère. Il faudra qu’un matin, ces pays asiatiques dont les populations ne cessent de croitre de façon exponentielle, soient dans l’incapacité de vendre du riz pour satisfaire leurs habitants pour qu’enfin, Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara pensent à moi, le riz, pas comme un instrument de leurs interminables querelles intestines, mais comme une urgence alimentaire. En ce moment, il faudra faire la politique, celle qui consiste à la gestion de la cité, à nourrir la cité…

 

Kouakou Kouamé


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